L'art textile en Suède

Dans ce grand pays scandinave, dont l’étendue calme et régulière porte l’empreinte de l’érosion glaciale, le travail des textiles - le tissage, tout particulièrement - a joué un rôle très important dans l’économie locale et dans la vie quotidienne des habitants.

Les trouvailles préhistoriques y sont peu nombreuses. On dispose cependant de quelques tissages datant de l’âge du fer et d’un gant en réseau à l’aiguille, découvert dans le marécage de Asle (Gotland). Des pièces très célèbres datant de la fin du premier millénaire proviennent des tombeaux vikings de Björkö à Mälaren. Nombreux sont en revanche des tissus médiévaux qui sont parvenus jusqu’à nous. Conservés dans les trésors des églises, ils fournissent d’intéressants renseignements sur l’histoire du tissage suédois.

Le tissage - Les tentures de l’église de Skog, dans le Hälsingland, et celles de Overhogdals, dans le Härjedal, datent du début du Moyen Age. Leurs motifs, réalisés selon la technique snärjeväv, proche du soumak, peuvent être confondus avec la broderie au point de tige. Mais il s’agit bel et bien d’une technique de tissage ancienne, qui apparaît dès le VIIème siècle. Les motifs de ces tapisseries, qui représentent des églises et des silhouettes humaines, animales ou mythiques, reflètent des apports culturels aussi bien païens que chrétiens.

Dès cette époque, l’influence étrangère n’est pas absente des productions suédoises, notamment sur le plan des décors. C’est par l’intermédiaire des couvents qu’elle pénétra dans le pays et l’on trouve dans les trésors des églises nombre de textiles médiévaux importés, notamment des soieries.

Le taffetas double - étoffe façonné - ou finnvëv - est un genre de tissage typiquement scandinave.

Dans le domaine des tentures décoratives, les ouvrages dits rölakan, aux motifs formés par un tissage sergé aux fils de trame recouvrant complètement la chaîne, connurent aussi une grande vogue. Mais l’influence de la tapisserie flamande, que le roi Gustave Vasa introduisit en Suède au XVIème siècle, devint rapidement prépondérante. Au fil des siècles, l’importance des techniques du reste de l’Europe, et de la France notamment, ne cessa de croître au détriment des pratiques autochtones ancestrales. Au XVIIIème siècle, les ateliers royaux qui produisaient les traditionnels tissages double-étoffe furent fermés.

C’est dans le patrimoine populaire que l’on a conservé les techniques de tissage anciennes, étudiées et recueillies à la fin du XIXème siècle par des chercheurs passionnés, notamment en Dalécarlie et en Scanie. Bon nombre de ces techniques dataient du Moyen Age, et certaines des premiers siècles de notre ère. L’art folklorique, avec ses tendances conservatrices, préserva les caractéristiques qui permettaient d’identifier les différentes origines géographiques des textiles.

Dans la vie des familles paysannes, les textiles vestimentaires et d’ameublement tenaient une place de choix. A la ferme, les lits, les bancs, les cloisons boisées et la grande table des jours de fête étaient ornés de drättor, textiles décoratifs à motifs tissés ou brodés. Certains tissages étaient ornés de motifs brochés, d’autres de motifs lancés. Aux rölakan et tapisseries se joignaient d’autres techniques : krabbasnär à fils flottés et rya de haute laine ; dukagäng aux remarquables motifs de bateaux et de cerfs ; upphämta et « ceinture de moine » à motif d’étoile, rosengäng à trame multicolore et armure sergé. Il faut souligner la maestria avec laquelle les tisserands travaillent le domaine chromatique. Toutes ces étoffes étaient réalisées en laines de couleurs vives ; cependant il existe aussi une tradition importante de tissage de blanc, notamment le damassé.

Les broderies - Le couvent des Birgittines de Vadstena et l’atelier de broderie de perles d’Albert Pictor, à Stockholm, étaient les principaux centres de broderie vers la fin du Moyen Age. Une partie des linges décoratifs utilisés lors des grandes occasions étaient brodés. Dans le Hälsingland, on rencontre par exemple des célèbres courtines brodées adaptées aux lits à colonne de la région.

Certaines parties du costume, de lin ou de laine, étaient brodées de motifs anciens. Une caractéristique de cette broderie populaire était le travail « à l’épargne », très répandu en raison du coût élevé du fil : pour que la presque totalité du fil soit visible sur l’endroit de l’étoffe, on utilisait principalement le passé plat à l’épargne et le point natté slave. La broderie de Blekinge, avec ses motifs de fleurs et d’oiseaux aux teintes douces et ses fonds en grilles brodées (bottensöm), fournit un gracieux exemple de l’habilité des femmes de cette région.

Bon nombre des anciennes techniques sont à fils comptés et ornent entre autres, en blanc sur blanc, les vêtements en lin et les linges décoratifs parfois ajourés ou brodés au passé plat. Les ouvrages de Halland et la broderie blanche des régions de Scanie et de Dalécarlie sont les plus célèbres. En Dalécarlie, on portait autrefois des foulards ornés de broderie noire dont la tradition remonte à la Renaissance.

La dentelle - Parmi les techniques de dentelle utilisées en Suède, l’un des plus anciennes - elle date de la Renaissance - est très proche des ouvrages en franges, de chaîne nouées qui terminaient les tissages de toile. Ce travail aux fuseaux, qui s’exécutait sans épingles, resta longtemps en usage dans les régions isolées comme la Dalécarlie. La dentelle de Scanie est du même type, quoique plus serrée. Celle de Vadstena, dont la production fut très influencée par la dentelle des Flandres, est nettement plus récente.

Les autres techniques - Le filet, brodé de motifs blancs ou rouge au point de reprise, était beaucoup plus répandu que la dentelle aux fuseaux. On l’employait dans la confection d’entre-deux ainsi que dans la fabrication des dais ouvragés que l’on suspendait au-dessus de la table les jours de fête. Dans certaines régions on fabrique encore aujourd’hui des textiles avec la très ancienne technique du sprang connue depuis l’âge du bronze.

Le tricot est une pratique de vieille tradition et fut une importante ressource économique pour certaines régions de production lainière. Le crochet, qui ne commença à se répandre véritablement qu’au début du XIXème siècle avec l’arrivée du fil de coton, devint très populaire et s’appliqua surtout à la confection de couvre-lits, de dentelles et de coussins.

L’art textile suédois a subi une simplification marquée vers la fin du XIXème siècle, certaines techniques de tissage étant reconverties en broderie, d’autres changeant d’emploi, comme le rölakan qui fut utilisé pour la fabrication de tapis en crin. Plusieurs associations furent alors fondées qui se donnèrent pour charge de conserver et de revivifier les techniques textiles de Suède. Ces associations sont encore très alertes à l’heure actuelle. Parmi les artistes qui fondèrent à cette époque des ateliers, mentionnons Agnès Branting, historienne et conservatrice du textile. Parmi les créateurs les plus actifs du début et du milieu du XXème siècle, citons Märta Määs-Fjetterström, Alf Munthe, Greta et Märta Gahn. Les artisans d’expression textile, tout en travaillant sur des oeuvres personnelles, collaborèrent souvent avec l’industrie, faisant de la confection suédoise un domaine des plus raffinés.

Source : « Autour du fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogdtal, Paris, 1988, volume 17.