Bordée au nord par la Baltique, traversée par l’Oder, la Vistule et leurs nombreux affluents, la Pologne occupe entre l’est et l’ouest de l’Europe une position stratégique qui lui a permis de recevoir, d’assimiler et de retransmettre de nombreuses influences culturelles. Dans le domaine textile, ces apports se sont mêlés aux riches traditions locales. La vivacité de l’artisanat populaire est remarquable en Pologne ; les secrets du tissage double-étoffe se sont ainsi transmis de génération en génération, tout comme ceux de nombreuses autres techniques qui continuent d’inspirer artistes et artisans contemporains.
Les fouilles archéologiques entreprises près de Biskupin, Gdansk et Opole ont fourni des renseignements essentiels sur l’histoire du filage et du tissage européens depuis la préhistoire. Les Slaves de la culture lausitz, qui vivaient en Pologne entre 1300 et 300 avant notre ère, travaillaient la laine et le lin à l’aide d’un fuseau suspendu et d’un métier à tisser vertical à pesons, qui devait plus tard faire place au métier horizontal.
Jusqu’au Moyen Age, le lin, la laine et le chanvre furent uniquement travaillés à la ferme. Cette forme de production s’est d’ailleurs perpétuée jusqu’à l’heure industrielle avec, au fil des siècles, l’apparition de divers aménagements techniques, dont le rouet. Le XIIème siècle marqua cependant le début de la spécialisation professionnelle. C’est ainsi que, contrairement aux textiles des Xème et XIème siècle trouvés près de Gdansk et d’Opole, ceux des deux siècles suivants, notamment les étoffes rayées dites pasiak, proviennent d’ateliers de fileurs et de tisserands de métier. Les couleurs utilisées – jaune, rouge, vert et noir – sont d’origine végétale. Les tissus de laine peuvent être grattés et feutrés, ce qui est courant au XIVème siècle, ou bien lisses, comme le célèbre costume en sergé de sainte Salomé, qui date du siècle précédent.
Bien qu’il soit impossible d’en déterminer l’origine géographique exacte, les kilims du Moyen Age contribuent grandement au prestige du patrimoine textile polonais, à tel point que le mot kelim désigne dans ce pays tous les tapis, qu’ils soient noués ou non. Célèbres aussi sont les tais de laine aux couleurs naturelles confectionnés à Mazovie, aux alentours de Varsovie.
Au XVIème siècle, l’importation de matières premières étrangères permit de démarrer une production d’étoffes de coton et de soie. Parallèlement, les ateliers royaux, inspirés de la tapisserie flamande, réalisaient sous le nom d’opony des tentures destinées à la cour. C’est probablement vers cette époque que se développa aussi l’industrie dentellière.
La broderie polonaise est citée dans les textes dès le XIIème siècle. La version la plus riche – qui fut mise en œuvre pendant plus de six cents ans – est du genre acu pictum avec ses personnages hauts en couleurs ; la chape du XIVème siècle rehaussée de perles et de gemmes qui orne l’église Sainte-Marie de Cracovie en constitue un exemple des plus représentatifs, de même que celle de Kmita aux broderies d’or en relief, qui date de 1504. Le XVIIème siècle fut témoin du développement de la broderie de couleur, exécutée au passé plat et au point de chaînette appelé communément point rouge et noir.
C’est à cette époque que l’ensemble de l’artisanat textile polonais pris son essor, encouragé par l’accroissement besoins de la cour en matière de lainages, d’étoffes brochées d’or, de dentelles, de broderies d’application pour les costumes d’apparat et de tissus d’ameublement. Des broderies de genre oriental étaient destinées à orner tentes et uniformes militaires. Au XVIIIème siècle, les ateliers royaux et seigneuriaux poursuivirent cette production en l’enrichissant de tapisseries aux motifs polonais mêlés de figures d’inspiration orientale, d’écharpes en soie tissées d’or, de garnitures de soie aux décors persans, qui donnèrent plus tard les célèbres sach, sortes de larges ceintures tissées portées avec le kontsz, manteau ouvert qu’on se jetait sur les épaules sans en enfiler les manches.
Au XIXème siècle, tandis que la plupart des ouvrages réalisés dans les milieux aisés s’appauvrissaient, les brodeuses paysannes déployèrent une grande variété de points – passé plat, chaînette, broderies ajourées et de perles – et de motifs, parfois empruntés au d »cor des ouvrages nobles des époques précédentes. Alors qu’avec l’avènement de l’ère industrielle, les productions artisanales textiles baissaient en qualité et que les produits étrangers s’imposaient comme modèles, les milieux artistiques s’élevèrent vigoureusement contre cette tendance. Différentes associations privées furent créées dans le but de protéger le patrimoine national et d’organiser la conservation des techniques encore traditionnellement pratiquées. Ces organismes furent témoins des premières tentatives d’une création textile contemporaine, inspirée des techniques populaires (filage, teinture végétale, double-étoffe de Bialystok, jacquard), qui devait donner naissance à une véritable renaissance des arts textiles polonais.
Après la seconde guerre mondiale, les institutions d’Etat comme le Cepelia prirent la relève pour promouvoir les échanges et les contacts entre les artisans des différentes parties du pays et organiser la vente de leurs créations. Signalons dans cette production moderne les étoffes rayées de Lowicz et d’Opoczno, les tissages figuratifs aux motifs naïfs, les kilims, les broderies de Kachubia et les Maków Podhalanski ou les imitations de dentelle au crochet de Koniaków et Istena. Enfin, une véritable école de tissage contemporain s’est développée, prônant le travail direct sur métier, sans l’intermédiaire d’un carton. Sous l’impulsion d’artistes mondialement reconnus comme Magdalena Abacanowicz, l’évolution s’est faite vers des créations très novatrices en trois dimensions, faisant intervenir les techniques et les matériaux les plus variés.
Sources : Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles, Editions Fogtdal, Paris, 1991, volume 16.