L’histoire des ouvrages textiles aux Etats-Unis se déroule le long de deux grands axes : les activités des premiers habitants, c’est-à-dire des différentes tribus indiennes, et celles des colons qui forgèrent une nouvelle tradition à partir de techniques gardées en mémoire et adaptées aux conditions du Nouveau Monde.
La tradition indienne - Les Indiens portaient jadis des vêtements tissés en coton ou des pièces de cuir agrémentées d’applications de peaux de poisson ou d’autres animaux. On brodait souvent ces costumes avec des poils d’élan, de caribou ou avec des piquants de porc-épic, pour composer des motifs géométriques dont la symbolique se rattachait aux éléments de l’univers. Plus chatoyantes et plus rapides à travailler, les perles de verroterie remplacèrent, après l’arrivée des Européens, ces matériaux naturels.
A l’ouest, les Navajos descendus de l’Alaska le long des Rocheuses pour s’installer finalement sur les territoires actuels de l’Utah, du Nouveau-Mexique, du Colorado et de l’Arizona, devaient leur connaissance du tissage aux Indiens Pueblos. Les couvertures navajos, portées drapées sur le corps, étaient tissées de somptueux motifs abstraits. Ces ouvrages faisaient écho à l’ordre universel : le monde animal était représenté par la laine, le végétal par le biais de la teinture et l’humain par les techniques mises en oeuvre ; l’organisation même des dessins, conçue uniquement dans la tête de l’artisane, répondait à ce cosmos ordonné et harmonieux. Dans le même région, les Indiens Pueblos se sont fait une spécialité du décor brodé. Ils ont ainsi donné leur nom au « point arrière pueblo » travaillé simultanément avec deux fils ; le point terminé ressemble à une cordelette et forme de superbes remplissages. Les broderies pueblos étaient exécutées en soie ou en laines teintes en vert, noir ou rouge sur un fond de coton écru. Strictement géométrique et répétitif, le décor était disposé en lisière sur les vêtements, notamment sur la « manta », pièce d’étoffe droite que l’on pouvait porter autour du corps ou bien en écharpe.
Dans les territoires boisés de l’Est, du nord des Grands Lacs à la Virginie, vivaient les membres de deux grands groupes linguistiques : les Iroquois (avec entres autres la sous-famille des Hurons) et les Algonquins (comprenant les Ojibwas et les Menominees). Les premiers associaient dans une même figure brodée l’être humain, l’animal et l’étoile. Chez les Hurons, dont les territoires s’étendaient en grande partie au-delà de la frontière canadienne, on trouve une longue tradition de broderie commerciale ; leurs mocassins ornés de piquants de porc-épic notamment étaient extrêmement renommés. Toutes ces tribus pratiquaient aussi la broderie au poil de renne sur écorce de bouleau, pour suppléer à la rareté du fil textile. Rubans, ceintures et bandeaux pour cheveux étaient réalisés en tissage en bande.
Dans les Grandes Plaines et, plus largement, de la province canadienne de l’Alberta au Texas, vivaient des tribus à tendance nomade comme les Indiens Sioux (dont les Dakotas) et les Cheyennes. La chemise des femmes, taillée des dans peaux, était pourvue d’un empiècement brodé de perles. Les dessins toujours à base géométrique incluaient parfois des stylisations d’animaux ou d’insectes. Dans leurs travaux de perles, les Sioux se servaient de la méthode « Lazy Squaw » qui permettait de fixer en un seul point une rangée de boules percées. La tribu des Séminoles, vivant primitivement en Floride et en Oklahoma, a donné son nom à une forme caractéristique de patchwork ; cette technique, qui rappelle le dessin des broderies traditionnelles, a pris son essor vers la fin du XIXème siècle en même temps qu’apparaissaient les premières machines à coudre. Les Indiens l’ont travaillée de façon très originale, en assemblant des bandes de tissus unis aux tons fortement contrastés, puis en les découpant pour les recoudre avec des décalages de couleurs. Les circonstances ont souvent rendu difficiles les échanges de savoir-faire entre les populations indiennes et les nouveaux habitants. Les Indiens ont pourtant intégré les perles et les supports textiles des colons à leurs propres traditions ; les jeunes femmes recueillies dans les couvents ont en outre pris connaissance des motifs « victoriens » et des goûts européens dont on peut déceler la trace dans leurs ouvrages.
L’épanouissement de l’héritage européen - Les activités textiles des descendants des « Pilgrim Fathers » furent d’abord motivées par la nécessité. Ainsi la rareté des étoffes fut-elle certainement à l’origine du patchwork américain, ce « pieced quilt » fait d’une multitude de morceaux assemblés. Econome et méticuleuse, la maîtresse de maison gardait précieusement les parties récupérables des vêtements usagés et les résidus de ses travaux de couture dans un « sac à chutes » d’où elle tirait les petits morceaux nécessaires à la confection d’un pavé. La diversité des quilts nord-américains est considérable : elle comprend aussi bien les juxtapositions abstraites de morceaux de laine colorés des provinces au climat rigoureux où l’essentiel est d’avoir chaud - le quilting, ou matelassage, permettait de maintenir l’air entre les différentes épaisseurs de tissu -, que les appliqués recherchés conçus dans les grandes familles des colons du Maryland ou de la Virginie.
Les Américains eux-mêmes ont longtemps méconnu les ouvrages de leurs ancêtres : ce n’est qu’en 1924, par exemple, que le Metropolitan Museum de new York consacre une place aux patchworks traditionnels. L’enthousiasme renaît vraiment dans les années 70, et on recueille alors précieusement un héritage considéré comme une expression authentique du peuple américain. L’évolution contemporaine emprunte deux grandes voies : à côté des tenants de la tradition, on voit éclater le talent d’artistes comme Michael James qui savent allier l’art contemporain avec le support textile.
La broderie tient également une place prépondérante dans la tradition américaine d’origine européenne. Là encore, la rareté des matériaux fit s’épanouir un esprit de récupération systématique : pour économiser au maximum les fils sur l’envers du tissu, par exemple, on faisait appel à la technique du passé à l’épargne. Les « samplers » - du latin « exemplum » - connurent un extraordinaire essor aux Etats-Unis. Ces pièces de lin étroites permettaient aux nouveaux arrivés de conserver vivante la tradition de broderie de leur pays d’origine et faisaient partie intégrante de l’éducation des jeunes filles, comme support à l’enseignement de la patience et de l’habilité, mais aussi de la morale et de la religion : versets bibliques et motifs religieux s’y retrouvent en abondance.
Au XVIIIème siècle, deux grandes influences se firent jour dans la broderie : l’une d’origine anglaise avec la broderie crewel, et l’autre venue d’Europe centrale et notamment transmise par les « sœurs de Moravie », secte mystique d’origine tchèque établie en Pennsylvanie. La broderie crewel familière en Angleterre fit éclore de façon gracieuse et fraîche des dessins de fleurs et d’animaux, brodés dans une intention essentiellement décorative et destinés à l’ameublement : rideaux, coussins, courtines de lit. Exécutée avec un fil à deux brins torsadés, elle fut particulièrement pratiquée en Nouvelle-Angleterre où les colons avaient apporté avec eux des vêtements brodés qui servirent de modèles. A côté de ce décor traditionnel allégé, on vit apparaître à la fin du siècle quelques motifs floraux d’inspiration indienne. La broderie de soie des « écoles de Moravie », quant à elle, célébrait à l’origine des scènes bibliques ; elle évolua ensuite vers un romantisme délicat.
L’ouvrage à l’aiguille le plus répandu dès le XVIIIème siècle fut sans doute la tapisserie, travaillée à points comptés en laine sur une étoffe assez lâche. En effet, les étoffes tissées à la main laissaient bien apparaître la chaîne et la trame et permettaient facilement de compter les points avant même l’apparition du canevas. La « Fishing Lady » figure parmi les thèmes de tapisserie les plus célèbres ; la région de Boston en vit naître à elle seule quelque 65 versions ! Le sujet en est pourtant très précis : une dame pêche tandis que se dessine dans le fond un coin de la ville de Boston. C’est d’ailleurs dans cette cité et à New York que s’ouvrirent à la fin du XVIIIème siècle des écoles de broderie pour les jeunes filles des familles riches.
L’explosion urbaine et les progrès du confort quotidien favorisèrent au cours du XIXème siècle la pratique des arts de l’aiguille comme passe-temps. Ce fut l’envol du fameux « needlepoint », exécuté désormais sur du véritable canevas avec des fils de laine. Point de croix et petit point se partageaient le soin de couvrir les motifs très colorés de la broderie de Berlin fraîchement importée, dont la vogue fut quasi universelle ; on l’adopta notamment pour composer les « Bristol Boards », sortes de cartes de voeux comportant motifs et textes. La tapisserie à l’aiguille reste actuellement très populaire, notamment au travers des techniques du point florentin ou Bargello.
A la fin du XIXème siècle, la Société des arts décoratifs, à l’instar de l’école de William Morris, contribua à l’épanouissement d’une expression textile originale. De son côté, un magazine spécialisé nommé « Antiques » fut créé en 1920 pour conserver la mémoire des travaux manuels nord-américains. Actuellement, le goût pour ces techniques demeure très vif aux Etats-Unis : en témoignent le succès des manifestations organisées autour du patchwork et le développement des métiers d’art soutenus par de nombreuses expositions ; le domaine du tissage est également l’objet d’une création contemporaine dynamique.
Source : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 9.
Voir des tapis inspirés de motifs américains : Tapis USA et Tapis des Indiens d'Amérique du Nord