La broderie en Bulgarie

Art appliqué qui s’exécute sur un tissu avec des fils de couleur, la broderie nationale bulgare tient une des premières places dans les usages du peuple. Il n’eut point de coin en Bulgarie, au cours du siècle dernier, où le vêtement ou autre objet de tissu ne fût orné de broderie, si bien qu’à la fin du même siècle, la Bulgarie se prévalait déjà d’une extrême variété de broderie nationale réparties dans un réseau serré de régions.

Cette extrême variété tient à la richesse de l’héritage du passé, aux dons créateurs de la Bulgare, à l’abondance de matériaux pour le travail à l’aiguille (lin, chanvre, laine, coton, soie) et au fini de l’exécution.

La broderie nationale bulgare est constituée des plus simples combinaisons : linges droites, courbes, bâtons rompus, ondes, spirales, etc., de figures d’objets d’usage courant, de plantes, d’animaux, de figures humaines et de figures géométriques (triangles, carrés, losanges, etc.). Les formes et le contenu en sont exprimés tant par des dessins et des couleurs d’une variété surprenante que par des compositions savantes.

Dans l’ancienne histoire de la Bulgarie, on parle de vêtements brodés d’or ou d’une façon générale de vêtements brodés que portaient les représentants des classes dominantes. Il n’en est pas moins vrai que le vêtement des travailleurs était, lui aussi, orné de broderies, ce dont témoignent les études ethnographiques et historiques comparées auxquelles se livraient les savants. On connaît les écrits des voyageurs étrangers de passage en Bulgarie à l’époque de la domination turque. Ne parlent-ils pas en effet de magnifiques broderies ornant les vêtements des paysans bulgares ? D’autre part, les riches collections de vêtements brodés et d’échantillons de broderies que renferment les musées sont autant de documents irréfutables attestant le niveau élevé qu’avait atteint la broderie nationale bulgare pendant la deuxième moitié du XIXème siècle. Or, à la suite des changements d’ordre social et économique intervenus dans la vie de la société bulgare au lendemain de la libération du pays de l’oppression turque, et surtout après la première guerre mondiale, l’art de la broderie nationale bulgare commence à décliner.

Aujourd’hui, nous assistons à un renouveau des métiers d’art. Dans ce travail de rénovation et de perfectionnement, la broderie fait l’objet, elle aussi, d’études poussées afin d’en perfectionner la facture. Elle refleurit dans le costume représentatif des nombreux collectifs d’artistes amateurs et orne avec un nouvel éclat les vêtements des citoyens et des citoyennes, elle réapparaît, fraîche et pimpante, dans la demeure du bulgare. Enfin, la broderie bulgare est très recherché sur le marché international.

A part la broderie au fil de couleur, il faut citer également l’ornementation au fil blanc du vêtement de dessus, telle que la broderie d’application blanche du «soukman» (robe) de la Bulgarie du Sud et des régions des Balkan. Il y a également les broderies sur étoffe noire qui dominent dans la Bulgarie de l’Est.

La broderie nationale bulgare offre plus de vingt variétés importantes, groupées dans les différentes régions, d’après les costumes qu’elle fut appelée à orner.

Chaque région a ses motifs caractéristiques qui ornent la chemise ou autre vêtement en étoffe tissée. Les broderies du vêtement de dessus en étoffe noire ne sont pas moins caractéristiques. Cette ornementation procède parfois d’un tout autre style et elle est exécutée d’une manière toute différente.

Il y a aussi les broderies complémentaires qui dans la Bulgarie du Nord-Ouest ornent l’extrémité des pans des «mentés» (vestes) et des «klachnitzi» (vêtements de femme en étoffe de laine blanche). Cette broderie fait figure d’une tache allongée d’une manière décorative en arrière, large de 13 cm et longue de 28 cm. Elle est d’une teinte écarlate, parfois tirant sur le lilas. Elle est remplie de points de cordonnet parallèles au contour ou placés en travers. L’espace relativement restreint entre les points de cordonnet est meublé de petites fleurs stylisées. Le ton écarlate est renforcé par l’application d’un tissu de même couleur. Les couleurs complémentaires (vert, jaune, bleu et autres) sont parcimonieusement dosées.

>La broderie du «soukman» est propre aux régions d’Ikhtiman et de Samokov. Elle comporte quelques rangées de points de cordonnet obliques. Au-dessus, les mêmes points dessinent des parallèles de cerceaux où les tons alternent suivant un rythme savant. Les cerceaux sont liés de manière à former des lignes sinueuses de volutes, suivies de points de cordonnet. Il arrive que ces rangées de cerceaux et de points de cordonnet se r&épètent plusieurs fois. Cette broderie est caractérisée aussi par des rangées de petites rosettes à quatre feuilles en laine blanche ou rouge qui courent, séparées, le long des coutures du «soukman».

La broderie qui orne le vêtement d’homme de la région de Sofia est parmi les plus originales de Bulgarie. Elle s’exécute sur étoffe blanche ou noire au passé plat et fait l’effet d’une application en cordonnet. Ici les lignes de points au fil de coton blanc sont rehaussées de points de feston : pointus, en spirale, bouclés ou ronds dont quelques uns épousent la forme d’un végétal, sans toutefois compliquer outre mesure leur aspect. D’ailleurs, les formes les plus compliquées de cette broderie ornent les poches des «mentés» où le mariage de lignes et de motifs végétaux fait songer à la dentelle.

Les «ochvitzi» sont une sorte de broderie d’application ornant les devants des chemises de femmes des régions de Samokov, d’Ikhtiman, d’Eline-Péline et de Sofia. Ce sont autant de broderies de fils de laine de couleur où dominent l’orange et le blanc, à côté du bleu et du vert. Cette broderie s’exécute toujours sur tissu orange ou rouge. Ses motifs se distinguent par l’extrême variété d’éléments végétaux et géométriques.

En Bulgarie de l’Ouest, les «rakavitzi», dès la fin du XIXème siècle, ornaient les «soukmans» des régions de Sofia et d’Eline-Péline. Ces «rakavitzi» représentent chacune une bande de drap noir, longue de 50 cm et large, à l’extrémité inférieure, de 8 à 9 cm et à l’extrémité supérieure de 2 cm. Elles furent appliquées au dos du «soukman» du côté de la partie qui couvrait les omoplates. La moitié inférieure, plus large que l’autre moitié, fut copieusement ornée de points de cordonnet au fils de coton blanc. L’ornementation en est le plus souvent un heureux mariage de lignes et de petites figures végétales. L’élément les plus important de la figure végétale est une fleur en forme de rosette au sommet de l’ensemble de la composition. Par son style, cette broderie se rapproche de l’ornementation des poches des «mentés» et des «soukmans», sous une forme plus ramassée, de la région de Sofia. La valeur de ces broderies est éminemment relevée chaque fois que le fil blanc est remplacé par de petites perles de couleur blanche. Cette forme plus récente de la broderie nationale bulgare est presque unique, excepté les ceintures, les bracelets et les colliers de perles.

Source : Broderie nationale bulgare (Bulgarische Volksstickerei), Rossiza Tschukanova, Ed. Verlag Balgarski Hudoshnik, Sofia, 1957.