Le point de croix et la broderie

Dans un pays comme la France, d’une très grande tradition textile – il suffit pour cela de suivre avec attention des défilés de haute couture ou de s’attarder un peu sur l’histoire du pays avec, entre autres, Colbert et Richelieu – il est regrettable de voir que, aujourd’hui, pour beaucoup, la broderie est ressentie comme une activité de « mémères » : il n’est pas rare d’entendre ou de lire des commentaires du style « activité pour plus de 70 ans ». Si pour certaines personnes, la broderie et les arts textiles d’une manière générale (que dire du patchwork ou du boutis, de la dentelle ou de la tapisserie !!!) sont « de vieilles pratiques », c’est ne pas connaître ce qui se fait non seulement en France mais dans d’innombrables pays : la création contemporaine dentellière en Slovaquie (où beaucoup d’Européens vont se perfectionner) ; la broderie en tant qu’activité économique dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban, permettant la construction de dispensaires et d’écoles pour des milliers d’enfants ; l’établissement d’écoles de broderie au Maroc dans de nombreux villages, destinées à transmettre aux futures générations une activité traditionnelle et permettre aux femmes d’avoir un métier. Et bien d’autres exemples encore.

En France, selon un récent sondage, l’âge moyen de la brodeuse est de 25 ans. Le renouveau de la broderie au point de croix s’est fait ressentir vers la fin des années 1990, surtout avec l’avènement des pages personnelles sur internet, ce qui a permis une circulation plus rapide de l’information (expositions, rencontres, stages, salons, diffusion de dessins et de nouveaux matériaux disponibles sur le marché, etc…). Cette information pouvant circuler librement et plus rapidement, il est apparu tout de suite que la broderie, et surtout le point de croix, était non seulement un excellent passe-temps (lire également « thérapie » dans certains pays, comme au Brésil ou en Tunisie) mais aussi l’occasion de se rencontrer, de faire de nouvelles rencontres, d’échanger des informations : un nouvel outil de sociabilité dans un monde où le « chacun pour soi » rend difficile les nouveaux contacts.

Mais, loin d’un passe-temps, la broderie peut être aussi, comme autrefois, un métier et même, dans certains cas, un métier d’art. Le Ministère de la Culture ne distribue pas des titres de Maître d’Art à des brodeurs et brodeuses ? Le 27 décembre 2003, dans le Journal Officiel, le Secrétariat d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat, aux professions libérales et à la consommation, rappelle que « brodeur » est un métier d’art dans la spécialité « Textile », au même titre que dentellier, tisserand ou fabricant d’objets décoratifs en tissus (patchworks, tissus appliqués, coussins, drapeaux…), entre autres.

Si ce n’est pas encore un métier à part entière, la broderie aujourd’hui peut quand même réunir des personnes à horizons très différents. Une raison de plus pour croire que, si cela peut être un métier difficile, c’est avant tout lier à une certaine idée de plaisir.