La dentelle d'Alençon

Cette dentelle à l’aiguille est sans doute la plus célèbre des dentelles françaises. Sa renommée date de 1665, lorsque Colbert établit une manufacture royale dans la ville d’Alençon. Au début on ne fait qu’imiter le point de Venise, dont Colbert a interdit l’importation en France afin d’empêcher la cour et les riches bourgeois de dépenses de trop grandes quantités de devises pour s’en procurer. Le décret établissant les manufactures stipule que les dentelles qui seront fabriquées s’appelleront « Point de France ». Les dentellières alençonnaises maîtrisent rapidement la technique du Venise, enseignée par des expertes vénitiennes appelées pour l’occasion par Colbert, malgré les menaces de représailles proférées par le sénat vénitien. En quelques années, les dentelles d’Alençon atteignent une qualité capable de concurrencer les dentelles italiennes. Cependant, il faudra aux Alençonnaises un peu plus de temps pour développer leur propre style. Elles délaissent peu à peu les fonds de brides reliant les motifs floraux, caractéristiques du Point de Venise, pour les remplacer par le réseau de grandes mailles hexagonales ornées de picots sur tous les côtés, qui est la marque distinctive des premiers Points de France alençonnais. Ces mailles se feront progressivement moins grandes et plus légères pour devenir, vers 1700, de petites mailles bouclées presque rondes, forme que l’Alençon conserve encore aujourd’hui.

De 1670 à 1690, le décor des Points de France fabriqués à Alençon, comme dans les autres manufactures royales, subit l’influence des artistes de la cour de Louis XIV comme Charles Le Brun et Jean Bérain. Les dessins des dentelles proviennent directement des ateliers des Gobelins dirigés par Le Brun. Ce n’est donc pas un fait du hasard s’il existe des correspondances entre le décor des meubles marquetés, des boiseries et des balcons de fer forgé de l’époque et celui des Points de France.

Vers 1700, les dessins de la dentelle d’Alençon deviennent plus naturalistes, prenant pour thème principal le répertoire floral. A la même époque, sous l’influence du goût rocaille, se développent à Alençon de nouvelles variétés de points fantaisie appelés « modes », en forme d’étoiles, de diamants, de chevrons, de pavages, dont l’exécution exige une grande virtuosité. Vers 1760, suivant une tendance générale, les dessins s’amenuisent, perdent de leur richesse, et le fond devient dominant.

L’industrie dentellière d’Alençon continue péniblement pendant la révolution. Napoléon 1er tente de la faire revivre sur une plus grande échelle en imposant l’usage de ces dentelles à la cour impériale. Cependant, il n’y réussit pas tout à fait : il faudra attendre le Second Empire pour que la dentelle d’Alençon connaisse un développement économique et commercial sans précédent. La technique reste pratiquement la même avec, toutefois, une innovation importante en 1855 : les motifs ombrés - obtenus par l’emploi de points plus ou moins serrés à l’intérieur d’une même figure - produisent des effets de transparence et d’opacité donnant plus de modelé à la dentelle. Les décors des Alençon de cette époque sont d’une grande richesse et les fabricants rivalisent de virtuosité technique. Ils copient également les modèles plus sobres de la période Louis XVI car l’impératrice Eugénie voue une grande admiration à la reine Marie-Antoinette.


Modèle de Paco Rabanne en dentelle d'Alençon

Jusqu’à la première guerre mondiale, l’Alençon reste une dentelle aristocratique par excellence. Il n’est pas un trousseau princier qui n’en comporte au moins quelques pièces. On l’imite partout, de l’Allemagne à l’Italie, notamment à Burano, ainsi qu’en Belgique où les marchands français ont d’ailleurs des ateliers. La tradition dentellière alençonnaise se maintient au cours des années 1920-1950, mais on ne peut plus guère parlers alors d’industrie, en regard du petit nombre de personnes qui s’y adonnent encore. Aujourd’hui, l’Atelier du Conservatoire de la dentelle d’Alençon, longtemps dirigé par Soeur Marie, Meilleure Ouvrière de France, subsiste encore grâce aux commandes et aux subventions officielles. Il forme toujours quelques ouvrières chargées de perpétuer cette belle tradition.

Source : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, 1988, Paris, volume 1.

Pour en savoir plus :
Site de la ville d'Alençon
Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle d'Alençon