Technique qui permet, en utilisant un syst�me de ligature autour des fils de cha�ne ou de trame avant le tissage, d�obtenir un dessin en r�serve aux endroits o� les ligatures ont emp�ch� la teinture d�impr�gner les fils. Le nom d�ikat, racine du verbe malais mengikat qui signifie � lier � ou � attacher �, a �t� adopt� dans la plupart des langues occidentales pour d�signer ce type particulier de teinture. Il existe trois mani�res de proc�der. Dans la premi�re, les fils de cha�ne sont teints en r�serve et la trame est unie : cet ikat de cha�ne accentue les lignes verticales du dessin. La seconde m�thode consiste � teindre les fils de trama en r�serve, la cha�ne restant unie : dans cet ikat de trame, ce sont les lignes horizontales qui sont plus nettes. Enfin, la cha�ne et la trame peuvent �tre toutes deux teintes en r�serve ; le motif n�appara�tra que lors du tissage, quand les parties r�serv�es de la cha�ne s�associeront � celles de la trame : c�est le double-ikat. Les contours diffus du dessin sont dus au fait que la teinture p�n�tre toujours un peu � l�int�rieur de la ligature et au l�ger d�calage des fils durant le tissage. L�apparence d�un dessin d�ikat d�pend aussi de l�armure de l��toffe. Le motif est particuli�rement accentu� lorsque les fils r�serv�s sont les seuls visibles � la surface de l��toffe : le motif reste clair lorsqu�il n�est pas perturb� par les fils unis qui s�entrecroisent avec les fils ikat�s. Un ikat de cha�ne sera donc mis en valeur par un reps de trame ; pour ce dernier, le serg� et le satin de 8 sont �galement indiqu�s. Le double-ikat, en revanche, donne ses meilleurs r�sultats avec une armure toile.

Des origines incertaines
On ne peut situer ni dater avec pr�cision les d�buts de cette technique imm�moriale. Cependant des t�moignages arch�ologiques datant du VI�me au X�me si�cle permettent de supposer l�existence de trois centres de diffusion : l�Inde, la Chine et le Y�men. Sur les peintures rupestres des cavernes d�Ajanta, en Inde, on peut admirer des costumes orn�s de motifs probablement ikat�s. Au cours des fouilles de Fost�t, en Egypte, les arch�ologues ont mis au jour des �toffes ikat�s avec des d�cors en pointe de fl�che, provenant du Y�men. De m�me, on a trouv� au Japon, dans le tr�sor du temple de Nara, des fragments d��toffes probablement �labor�es en Chine � l�aide de ce proc�d�.
De nombreux �crits chinois mentionnent l�emploi de l�ikat dans diverses tribus vivant dans le sud ou le sud-ouest du pays. Il est donc possible que cette r�gion soit le lieu d�origine extr�me-oriental de cette technique. De l�, elle aurait atteint l�Asie centrale, l�Asie du Sud-Est, le Japon, Ryukyu (ancien royaume du Japon m�ridional) et peut-�tre m�me le continent am�ricain. On consid�re l�Inde comme un second point de d�part, � partir duquel l�ikat aurait gagn� le Moyen-Orient et l�Afrique. On suppose, enfin, que la technique de l�ikat est parvenue en Europe via l�Arabie.

La g�ographie de l�ikat
Si, au cours des derni�res d�cennies, l�ikat a �t� abandonn� dans certaines r�gions, il demeure l�une des techniques de teinture les plus importantes dans le monde. En Am�rique du Sud, o� des �toffes pr�colombiennes en ikat de cha�ne ont �t� d�couvertes dans un tombeau p�ruvien, on confectionne encore aujourd�hui des tissus ikat�s, notamment au Mexique, en Colombie, au P�rou et au Guatemala.
Il existe en Asie centrale et au Moyen-Orient plusieurs centres de cr�ation importants : la Turquie, la Syrie, l�Iran et l�Afghanistan produisent des ikats de cha�ne raffin�s, dont certains en velours. Plus c�l�bres encore sont les soieries � larges motifs de couleurs vives provenant du Turkestan.
En Inde, o� l�ikat est une technique tr�s r�pandue, c�est de la province d�Orissa, de l�Andhra Pradesh et surtout du Gujarat que viennent les plus belles pi�ces. Le double-ikat sur soie (patola) tiss� aujourd�hui encore dans la ville de Patan (Gujarat) est particuli�rement renomm�. Pendant des si�cles, ce type d��toffe fit l�objet d��changes commerciaux entre l�Inde et l�Indon�sie o� l�ikat avait la r�putation bien �tablie de poss�der des pouvoirs magiques.
L�influence indienne est probablement � l�origine de certains centres d�ikat n�s en Indon�sie, comme Palembang (Sumatra) et Bali. Leurs caract�ristiques diff�rent profond�ment d��le en �le. Ces �toffes jouent, sous forme de costumes ou d��charpes de c�r�monie, un r�le essentiel dans le domaine social et religieux.
De nombreux groupes ethniques de Birmanie, de Tha�lande, du Cambodge, et du Laos connaissent et utilisent la technique de l�ikat de cha�ne. C�est �galement le cas dans le sud et l�ouest de la Chine, o� la tradition ancienne s�est perp�tu�e. On fabrique en outre, dans certaines r�gions de Tha�lande, du Laos, du Cambodge et de Malaisie, des soieries en ikat de trame tr�s raffin�es, tiss�es en armure serg�. Aux Philippines, dans la r�gion de Mindanao, on pratique l�ikat de cha�ne sur �toffe de coton et d�abaca.
La technique est tr�s �labor�e au Japon, o� les textiles ikat�s portent le nom de kasuri. A Kyushu, de tr�s beaux doubles-ikats sont utilis�s pour faire, notamment, des futons.
L�ikat n�est connu sur le continent africain que dans sa partie occidentale, au sud du Sahara, o� l�on confectionne de petites bandes de cotonnades bleues et blanches en ikat de cha�ne que l�on assemble ensuite pour faire de grandes pi�ces d��toffe. On fabrique � Madagascar des tissus en fibres de raphia, dont les motifs sont profond�ment marqu�s par l�influence indon�sienne.
En Europe, ce proc�d� a �t� utilis� dans les fermes de Su�de et de Finlande, � Majorque et dans le nord de la Gr�ce. L�industrie a perfectionn� cette technique et l�a employ�e sur une large �chelle en Italie septentrionale, en Allemagne (Wuppertal), en Suisse (Zurich) et en Autriche. En France, � Lyon, on a confectionn� des soieries ikat�es comprenant jusqu�� douze nuances de couleurs combin�es en motifs �labor�s. Ces �toffes ont �t� utilis�es principalement dans la fabrication de v�tements, de rubans et de textiles d�ameublement.
Depuis quelques ann�es, cette technique, qui a connu une longue �clipse, revient � la mode. Un nombre toujours plus important d�artistes am�ricains et europ�ens se lancent dans l�ikat dont les possibilit�s ont �t� multipli�es gr�ce � la diversit� des mat�riaux textiles et des teintures modernes.

La technique
Quel que soit le type d�ikat projet�, on r�servera les fils par groupes, plus ou moins importants selon la finesse du motif. Un motif est constitu� de plusieurs portions de fils ligatur�s ensemble. Si le dessin doit se r�p�ter sym�triquement, dans la longueur ou la largeur de l��toffe, on peut faciliter la ligature en pliant le groupe de fils plusieurs fois, afin que les parties � r�server soient exactement superpos�es. On attache les portions les unes aux autres avec des n�uds, pour �viter les d�calages, avant de ligaturer selon le dessin projet�.
Pour employer plusieurs couleurs sur une m�me �toffe, il existe deux techniques : on peut aller du plus clair au plus fonc�, ou inversement. Dans le premier cas, on commence par ligaturer les parties que l�on pr�voit blanches, avant de teindre, par exemple, en jaune. On r�serve ensuite les parties qui devront rester jaunes avant de passer l��toffe dans un bain de bleu. Si certaines des ligatures des parties blanches sont enlev�es avant le bain de bleu, le r�sultat apr�s les deux bains sera un dessin blanc, jaune, bleu et vert.
La seconde technique requiert une ligature initiale de toutes les parties � r�server. On commence alors par un bain de bleu, avant de d�nouer les r�serves sur les parties voulues rouges. Apr�s le bain de rouge, on d�fait les derni�res r�serves. Le fil est maintenant noir violac� (rouge sur bleu), rouge et blanc. Pour conserver certaines parties bleues, on peut r�server avant le bain de rouge. Avant de commencer � teindre, il est pr�f�rable de marquer les r�serves avec des n�uds de couleurs diverses, afin de ne pas faire d�erreur dans l�ordre du d�nouage.
Apr�s le dernier bain de couleur, le rin�age, le d�nouage et le s�chage, on monte les fils sur le m�tier � tisser, pour la cha�ne, ou on les enroule sur une navette, pour la trame.

L�ikat de cha�ne � Pour les motifs genre rayure, bloc, pointe, on montera en g�n�ral la cha�ne sur un cadre d�ourdissage puis on la divisera en autant de groupes de fils superpos�s que de bandes verticales composant les motifs de l��toffe. Le nombre de fils constituant chaque groupe d�pendra de la largeur des motifs. Il faut veiller � maintenir les groupes ind�pendants en les attachant � chaque extr�mit�. Si le motif se r�p�te sur chaque bande de tissu, on pourra r�server tous les groupes ensemble. V�rifier que la ligature, qu�elle soit en raphia ou en plastique, soit enroul�e tr�s serr� autour des fils. Pour les grandes surfaces, on peut utiliser des feuilles de plastiques maintenues serr�es � l�aide de ficelles. Il faudra �galement s�assurer que la teinture soit adapt�e au fil. Apr�s d��ventuelles op�rations de finition, on pourra �ter les ligatures, laver et rincer la cha�ne et la tendre de nouveau sur le cadre pour la faire s�cher.
Au cours de l�enroulement de la cha�ne sur l�ensouple du m�tier, on peut �ventuellement d�caler certains fils pour modifier le motif ; il existe des m�thodes diverses, plus ou moins compliqu�es, pour effectuer ce travail.
Pour les motifs figuratifs, il est recommand� de dessiner une �bauche sur papier ; afin d�obtenir des r�serves correctes, il est pr�f�rable de monter les fils sur un ch�ssis de m�me taille que le m�tier avant de faire les ligatures.

L�ikat de trame � Les fils de trame seront enroul�s sur deux b�tonnets plant�s de fa�on que l�intervalle ait la largeur du m�tier plus 1 ou 2 centim�tres d�embuvage. Il faut faire � chaque fois autant de tours que de duites n�cessaires � la hauteur du motif. Si l�on d�sire r�p�ter plusieurs fois la m�me partie d�un motif, par exemple quatre bandes comprenant chacune deux pav�s, on pourra tendre quatre groupes de fils de trame en m�me temps. S�parer chaque groupe de fils par un ficelage � chaque extr�mit�. Les groupes de fils comprenant les m�mes motifs seront r�serv�s et teints en m�me temps. Au moment du tissage, il est possible de d�caler les fils de trame pour donner au motif des contours incurv�s, rhombiformes ou quadrilat�raux. En ce cas, de petits faisceaux de fils de trame vont se grouper le long des lisi�res.

Source : � Autour du Fil, l�encyclop�die des arts textiles �, Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 11.