Bordure en Point de France

L'art textile en France

Après avoir occupé depuis des siècles une place prépondérante en matière de production textile, la France se distingue aujourd’hui encore dans les domaines de la mode et de la haute couture. Dans presque toutes les branches de l’activité textile, ce pays est à l’origine d’ouvrages d’une excellente qualité technique et artistique : tapisseries, soieries, dentelles, broderies et étoffes imprimées, notamment, rivalisent par la créativité et la virtuosité mises en œuvre.

Le plus ancien témoignage textile retrouvé en France est un fragment de corde en fibres végétales daté du paléolithique, découvert dans la grotte de Lascaux : dès cette période extrêmement précoce, les habitants de ce territoire savaient filer et tordre les fibres végétales, première étape d’un processus de plus en plus complexe. Les plus anciennes preuves de tissage – des restes de toiles de lin – remontent au néolithique ; elles ont été exhumées du fond du lac de Chalain, dans le Jura. Des fibres de laine figurant parmi les plus anciennes d’Europe proviennent également de cette région. En outre, l’un des tout premiers témoins du tissage du sergé en Europe a été découvert en Indre-et-Loire : c’est un fragment d’étoffe de lin – un chevron – de l’âge du bronze, datant d’environ 800 ans avant notre ère.

A partir de l’âge du fer, les textiles se diversifièrent ; le tissage aux cartons fit également son apparition. L’époque romaine, ensuite, nous a laissé deux vêtements à peu près complets, les seuls costumes romains conservés au nord de la Méditerranée : il s’agit de deux tuniques, l’une en armure panama, l’autre en laine, accompagnée d’une paire de bas de laine en sergé et d’une ceinture en reps, découvertes, pour la première, à Bourges et, pour la seconde, aux Martres-de-Veyre dans le Puy-de-Dôme.

La période mérovingienne a fourni plusieurs éléments textiles d’une grande valeur, les plus célèbres étant les vêtements fort bien conservés du tombeau présumé de la reine Arégonde (épouse de Clotaire Ier et belle-fille de Clovis, qui vécut au VIème siècle après JC) à Saint-Denis, grâce auxquels on a pu reconstituer un costume mérovingien presque complet. La reine était vêtue d’une chainse de lin fin, recouverte d’une tunique de soie pourpre, toutes deux tombant aux genoux, ainsi que d’un bliaud de soie rouge. Elle portait également un voile de soie, des bas de lin et une cape de laine rouge, frôlant le sol. La tombe d’une autre reine mérovingienne, Bathilde, qui mourut à Chelles vers 680, nous a livré, outre un manteau en demi-cercle de taffetas de soie, deux très belles bandes de tissage aux cartons décorées de figures animales et géométriques. D’autres fouilles enfin nous ont mis en présence de galons rehaussés de fils d’or.

Au XIIème siècle, Paris tenait déjà un rôle déterminant dans la vie spirituelle de l’Europe. L’université de la Sorbonne, dont l’enseignement à dominante théologique était accessible aux étudiants de tous les pays, constituait l’un des atouts majeurs de la ville. Malgré les ravages de la guerre de Cent Ans, la richesse de la France s’accroissait et les goûts de luxe de plus en plus prononcés de la cour encouragèrent le développement des arts et de l’artisanat. Forts de l’extension considérable du marché, les professionnels du textile s’organisèrent en corporation, qui insufflèrent une vigueur nouvelle aux productions de ce domaine avec, en premier lieu, la broderie, le tissage – en particulier les soieries – et la tapisserie.

La broderie – Répandue en Occident depuis l’époque des premières croisades, la broderie a d’abord été consacrée à des usages religieux ; jusqu’au XIVème siècle, en effet, elle servit surtout à orner les textiles liturgiques, la célèbre tapisserie de Bayeux de la fin du XIème siècle constituant peut-être la principale exception. La France se distingua par sa maîtrise exceptionnelle du travail de la soie et du métal.

Puisant leur inspiration dans les autres arts – ferronnerie, architecture et peinture essentiellement -, les brodeurs se spécialisèrent, qui dans la confection d’aumônières, qui dans celle de chasubles, par exemple. Puis, à partir du XIVème siècle, la broderie profane prit son essor et les artisans mirent également leur savoir-faire au service des seigneurs et de la cour, en décorant richement costumes et textiles d’ameublement. Evoluant avec le temps, cette activité se poursuivit avec plus ou moins de bonheur jusqu’au siècle de Louis XIV, où elle prit des proportions encore inégalées. Elle investit alors les supports les plus variés dans une quête toujours plus savante de la somptuosité : on brodait alors les housses de chaises et de sofas avec des fils de laine et de soie aux couleurs bigarrées et on décorait les tentures de reps de broderies précieuses de soie multicolore. Le vêtement masculin surtout – habit, culotte et gilet – fut abondamment travaillé. Au XVIIIème siècle, la broderie représentait toujours un secteur particulièrement dynamique : on recensa quelque vingt mille brodeurs en 1789 dans les ateliers de Lyon !

La broderie française adopta un nouveau visage au XIXème siècle, avec le déploiement dans toutes les classes de la société, du phénomène des « ouvrages de dames ». Devenu un élément fondamental de l’éducation des jeunes filles, ce travail à l’aiguille représentera désormais un loisir féminin privilégié et redeviendra, de façon plus contemporaine, un support de la création artistique. Des grands noms de la haute couture lui apporteront enfin un prestige supplémentaire ; ceux de Lesage et de Rébé resteront ainsi associés à la notion de broderie de luxe.

Les soieries – La technique du tissage de la soie est attestée dès le XII siècle à Poitiers, Reims et Troyes. A la fin du siècle suivant, des ateliers fabriquaient à Paris velours et draps de soie, et Lyon allait bientôt se distinguer par le savoir-faire de ses tisserands. Après avoir installé dans cette cité une manufacture royale destinée au tissage de la soie et du drap d’or, Louis XI mit lui-même en péril l’industrie de cette région en faisant transporter métiers et tisserands à Tours. Soutenue par Charles VIII et par François Ier qui attira à la cour nombre d’ouvriers étrangers, l’industrie de la soie prospéra considérablement en Touraine, le travail étant exécuté sous la direction des artisans italiens.

Avec le déménagement de la cour royale à Paris au XVIème siècle, le travail de la soie s’imposa de nouveau en France avec Lyon comme place forte. Henri IV se préoccupa pour sa part de développer une sériciculture nationale, dotant ainsi la France d’une matière première jusque-là importée. Technique et matériel se perfectionnèrent progressivement : un artisan lyonnais inventa en 1605 le métier à la grande ire, et les étoffes se firent de plus en plus élaborées, bien que, jusqu’à l’époque de Louis XIV et de Colbert, les tissus très luxueux aient continué à venir d’Italie. A partir du XVIIème siècle, c’est le goût français qui influencera dorénavant le reste du monde. Comme dans de nombreux autres domaines, l’évolution de la fabrication des soieries fut largement redevable à l’initiative de l’Etat et à sa politique visant à encourager systématiquement la production nationale. Avant les premiers magazines, qui apparurent dans le dernier quart du XVIIIème siècle, l’évolution de la mode demeura lente, en dépit du renouvellement constant des motifs. Les soieries ne servaient pas seulement à la fabrication des costumes, mais aussi à la confection de tentures murales et de revêtements de sièges. Les tissus d’ameublement étaient harmonisés de manière à permettre la décoration de pièces entières. La symétrie alternait avec l’asymétrie dans les étoffes dites « bizarres » des années 1700 ; plus tard, la mode fut aux motifs de dentelle et aux fleurs naturalistes vivement colorées ; la vogue des chinoiseries se répercuta aussi sur le décor de ces textiles.

Affaiblie par la Révolution, la ville de Lyon ne reprit ses activités textiles que sous le Consulat, où elles prospérèrent sous l’impulsion de Napoléon. L’invention du métier jacquard ajouta encore au dynamisme de cette industrie, si bien que dans la seconde moitié du XIXème siècle, la production mécanisées prit définitivement le pas, dans ce domaine également, sur la coûteuse tradition manuelle.

L’art de la tapisserie – En France, la notion d’art textile évoque irrésistiblement les prestigieuses tapisseries dont ce pays se fit une spécialité du XIVème au XVIIIème siècle. On y pratique depuis le haut Moyen Age cet art qui consiste à tisser sur des métiers de haute ou basse lisse des ouvrages en laine ou en soie destinés à la décoration des intérieurs. Ce savoir-faire a sans doute été appris en Orient au cours des croisades, en même temps que de nombreuses autres activités artistiques. Les tapissiers semblent avoir d’abord travaillé sur des métiers de basse lisse pour répondre aux besoins de l’Eglise ; au XIIIème siècle, ils étaient déjà groupés en corporations.

L’usage des pièces tissées sur haute lisse se généralisa au XIVème siècle, principalement parce que le métier de basse lisse ne permettait pas alors la réalisation de tentures de grandes dimensions et empêchait le lissier de suivre l’évolution du tissage. Les tapisseries se multiplièrent : on les accrochait sur les murs, les portes, autour du lit ou comme cloisons au milieu des pièces des demeures seigneuriales ; on les suspendait parfois même dans les rues. Elles jouaient également leur rôle à la guerre, où elles composaient de véritables « chambres de tapis ».

Paris abritait au XIVème siècle les plus illustres ateliers de confection de tapisseries ; dès cette époque pourtant, Arras lui fit concurrence. Le roi Charles V ainsi que ses frères, les ducs d’Anjou, de Berry et de Bourgogne, se fournissaient en tentures chez les maîtres tapissiers, en particulier chez le célèbre Nicolas Bataille. Celui-ci reçut en 1379, de la part du duc d’Anjou, la commande d’une suite de tapisseries représentant des scènes de l’Apocalypse selon Saint-Jean. Achevée quelque cent ans plus tard, cette suite exceptionnelle, tant par ses dimensions que par la finesse de son exécution, représente le plus ancien ensemble de haute lisse que nous ait donné le Moyen Age.

Au XVème siècle, la prise de Paris par les Anglais paralysa les ateliers, favorisant le développement de centres tapissiers provinciaux, tels ceux de Reims, Troyes, Avignon et Perpignan. La ville d’Arras, surtout, bénéficia de cette éclipse, avec tant de succès que son nom devint, dans plusieurs langues, synonyme de tapisserie. Cette cité faisait alors partie du duché de Bourgogne, l’un des plus riches et des plus puissants de France, qui comprenait une grande partie de la Flandre. La ville des arazzi bénéficia ainsi de l’alliance du duc de Bourgogne avec l’Angleterre, où les ateliers de tapisserie s’approvisionnaient en laine et avec qui ils commerçaient en priorité. Cette prospérité ne survécut pas à la mort de Charles le Téméraire et, surtout, à la prise de la ville par Louis XI en 1477.

A partir de la seconde moitié du XVème siècle, des centres se développèrent dans les Flandres et dans le nord de la France, mais c’est de Tournai que provient la quasi-totalité des grandes tapisseries richement imagées qui ornent encore aujourd’hui nombre de cathédrales, de châteaux et de musées. En règle générale, la composition et le style de ces tentures, ainsi que, dans une moindre mesure, leurs sujets, rappellent la grande école de peinture flamande et néerlandaise qui leur était contemporaine. De style gothique tardif, le décor présente une multitude de personnages vêtus de riches costumes de l’époque, une perspective assez raide et des thèmes généralement mythologiques, historiques ou religieux. L’année 1513 fut funeste pour les ateliers de Tournai ; devenue anglaise et ravagée par la peste, la cité céda la place à d’autres centres fondés pour répondre à des demandes locales, à Valenciennes et à Lille, par exemple.

Avec la Renaissance, un changement important survint dans la tapisserie française : le XVIème siècle vit en effet l’instauration de manufactures royales sur le lieu des ateliers indépendants. La première manufacture de tapisserie fut mise en place par François Ier à Fontainebleau pour concurrencer les ouvrages de Bruxelles.

Prenant modèle sur Bruxelles, où le roi François Ier passait commande, les centres français introduisirent l’inspiration et la perspective propres à la peinture italienne, ainsi que la bordure « en cadre », qui domine encore aujourd’hui la tapisserie imagée européenne. Ce fut l’époque des « mille fleurs », ainsi nommées en raison du semis abondant de plantes et de fleurs miniatures qui forme l’arrière-plan des tentures. On y relève souvent aussi, à côté des sujets religieux toujours présents, une inspiration tirée de la nature ou de scènes de la vie quotidienne, le tout traité dans un souci croissant de clarté et de finesse. Allégories et tableaux de chasse délicats se disputent souvent le thème de ces compositions. Datée de la première moitié du XVIème siècle, la fameuse et mystérieuse Dame à la Licorne est dans doute la pièce la plus représentative de cette période artistique, dont elle possède, à un très haut degré, la grâce si particulière.

En partie à cause des guerres de religion, de nombreux tapissiers quittèrent la France au début du XVIIème siècle. Aussitôt les conflits religieux apaisés, Henri IV travailla au développement de tous les arts et les activités industrielles de son époque, de manière à libérer la France d’un important tribut payé au-delà des frontières pour l’acquisition de biens manufacturés. Reprenant l’initiative d’Henri II et de Catherine de Médicis, qui avaient soutenu l’atelier parisien de la Trinité, il eut l’idée d’accorder des logements aux artisans dans les galeries du Louvre, afin de pourvoir aux besoins de la cour. Le roi espérait ainsi attirer en France des étrangers qui y feraient école. Plusieurs ateliers de tapisserie s’installèrent alors à Paris, à l’instar de celui des Flamands François de la Planche et Marc de Comans qui reprirent, entre le moulin Croulebarbe et la rue de la Reine-Blanche, un atelier de teinturerie appartenant à la famille des Gobelins. En échange de multiples avantages fiscaux, les deux artisans s’engagèrent à prendre vingt-cinq apprentis et à produire des tentures dont le prix de vente ne serait pas supérieur à celui des pièces flamandes. La fondation en 1627 de l’atelier de la Savonnerie, avec à sa tête le peintre Pierre Dupont, est également due à Henri IV.

Le surintendant de Louis XIV, Nicolas Fouquet, fonda quant à lui un petit atelier à Maincy, consacré à son usage personnel : l’ornementation du château de Vaux-le-Vicomte. Après la disgrâce de Fouquet en 1661, son successeur Jean-Baptiste Colbert fit déménager les métiers et restituer à la couronne tout ce que cette demeure contenait de richesses. Les tapissiers s’installèrent à Paris dans l’atelier des Gobelins racheté en 1662 – qui devint Manufacture royale de meubles de la couronne en 1667 -, sous la direction du grand ordonnateur de la décoration des palais royaux, le peintre Charles Le Brun. L’Histoire du Roy constitue sans doute l’un des plus fameux chefs-d’œuvre qui sortirent de cet atelier. Colbert décerna à peu près au même moment le titre de manufacture royale à d’autres ateliers, tels ceux – de basse lisse – de Beauvais, de Felletin et d’Aubusson.

Après une courte pause imposée par des guerres ruineuses, les ateliers de tapisserie royaux se remirent au travail au début du XVIIIème siècle, dès les premières années du règne de Louis XV. Différents directeurs artistiques se succédèrent avec bonheur à la tête de ces ateliers – Jean-Baptiste Oudry, par exemple – et Madame de Pompadour y exerça une influence non négligeable. Le rôle des peintres s’affirmait de jour en jour et François Boucher fut notamment à l’origine de la réalisation de multiples ouvrages. La tendance de cette tapisserie décorative était à la multiplication des nuances et des teintes mises au service d’une reproduction fidèle des tableaux. Les thèmes privilégiés étaient puisés dans la tradition mythologique et les artistes campaient volontiers leurs personnages dans de charmants décors champêtres.

Avec Louis XVI et le classicisme, les tentures se firent plus sévères et conventionnelles, jusqu’à l’arrivée de la Révolution. Les manufactures de Beauvais et des Gobelins subirent alors d’importantes réformes qui mirent progressivement fin à la fantaisie et à la créativité de leurs artisans.

Depuis la seconde guerre mondiale, la tapisserie française a connu un renouveau impressionnant, grâce à des réalisations inspirées des cartons de peintre célèbres, dont Henri Matisse, Marcel Gromaire et Fernand Léger. Jean Lurçat, enfin, représente sans doute, avec sa célèbre suite intitulée Le chant du monde exposée à Angers, le maître tapissier contemporain le plus prestigieux.

La dentelle – Si l’art de la dentelle n’est pas né en France, il y a très vite trouvé, dès le début du XVIème siècle, un terrain favorable à son épanouissement. Vers la moitié du XVIème siècle, l’aristocratie se prit d’engouement pour la finesse de ces nouvelles parures qui venaient somptueusement garnir les costumes masculins et féminins ainsi que les tissus d’ameublement. Nombreux furent ceux qui n’hésitèrent pas, pour en faire l’acquisition, à investir d’énormes sommes auprès des fournisseurs étrangers, allant parfois jusqu’à vendre leurs terres.

Réagissant contre ces dépenses exagérées, Louis XIV et Colbert décidèrent de bloquer l’importation des dentelles italiennes et flamandes et, en 1665, ils fondèrent une industrie nationale sur des sites où cette production – à l’aiguille ou aux fuseaux – était déjà implantée : Alençon, Arras, Aurillac, Sedan et Reims, par exemple, furent promues manufactures royales de dentelle. En quelques années, la dentelle française atteignit en qualité et en diversité le niveau des ouvrages italiens et sa renommée ne tarda pas à gagner l’Europe entière. Le siècle de Louis XIV vit la suprématie des fastueux ouvrages à l’aiguille, baptisés royalement « Point de France ».

Répondant à une gigantesque demande, les ateliers de dentelle se développèrent alors à grande échelle dans maintes régions du pays, employant une main-d’œuvre toujours plus abondante. Sous Louis XV puis Louis XVI, on privilégia le travail aux fuseaux dans la recherche d’une plus grande légèreté ; ce fut notamment la vogue des Valenciennes.

Le marché de la dentelle ne cessa de s’accroître jusqu’à la Révolution où il s’effondra brutalement : de nombreux centres ne se relevèrent jamais, malgré la politique d’encouragement national menée par Napoléon. Les techniques de fabrication mécanique se perfectionnaient cependant peu à peu et les pièces ainsi obtenues devinrent financièrement accessibles à un public très large. Parallèlement, certains ateliers de très haut niveau – tel celui de Lefébure à Bayeux – connurent leur heure de gloire, grâce à la production de la luxueuse Chantilly de soie noire, notamment. Cette prestigieuse dentelle aux fuseaux apparue vers le milieu du XVIIIème siècle, qui se caractérise par des motifs romantiques se dessinant sur un fond délicat, envahit les garde-robes françaises et étrangères de ses volutes aériennes jusqu’à la fin du siècle suivant.

Renforcée progressivement depuis le début du XXème siècle dans son rôle de produit de luxe, la confection manuelle est devenue essentiellement un objet de recherche et de création artistique. Les principales applications de la dentelle concernent aujourd’hui la haute couture. Elle suscite cependant depuis quelques années un renouveau d’intérêt général dont témoignent ouvrages et revues, expositions et ateliers d’enseignement consacrés à cet art.

L’impression sur tissu – Le panorama de l’art textile français resterait incomplet sans l’évocation des techniques d’impression, qui se développèrent de manière éblouissante, bien après celles de la broderie et de la tapisserie cependant. Alors qu’on pratiquait l’impression sur étoffe en Italie depuis le XIVème siècle, on ne commença à appliquer ce procédé en France qu’au cours du XVIIème siècle, pour composer les fameuses « indiennes » inspirées des tissus de coton fort coûteux importés des Indes.

Des centres spécialisés s’installèrent un peu partout en France, entre autres dans les villes de Marseille, Montpellier et Rouen. En Alsace, un ensemble important d’ateliers d’impression sur étoffe apparut à partir de 1747. Cherchant à améliorer les techniques en usage, artistes et dessinateurs créèrent des motifs dont certains allaient connaître un succès durable. On vit ainsi un déploiement de décors variés – inspirés des châles de cachemire si populaires et coûteux -, que l’on imprimait à l’aide de blocs incrustés de métal. Cette production fut rapidement frappée d’interdit par Colbert pour protéger les autres industries textiles ; pourtant, la demande s’amplifia et l’autorisation fut finalement accordée en 1759. Les ateliers se multiplièrent et on assista à l’explosion de nombreux talents, tel celui du dessinateur lyonnais virtuose, Philippe de la Salle.

Christophe Philippe Oberkampf représente l’une des principales figures de cette époque : il contribua largement à l’épanouissement de l’impression sur le sol français. La toile de Jouy, si réputée, tire son nom du village de Jouy-en-Josas, près de Versailles, où il fonda en 1759 un atelier qui devait devenir célèbre pour ses imprimés monochromes. Oberkampf mena à bien son entreprise grâce à la sûreté de son jugement : il choisit d’utiliser des teintures de bonne qualité, sut se faire seconder par des artisans de valeur et fut soutenu par les savants de son temps. Il obtint aussi de ses dessinateurs la mise au point de modèles originaux qui contribuèrent à l’essor d’une création textile à caractère français, se distinguant des cotonnades indiennes peintes si prisées jusque-là. Manufacture royale par décret de Louis XVI depuis 1783, l’atelier de Jouy traversa sans trop souffrir la période révolutionnaire. Pour augmenter la production, Oberkampf remplaça en 1797 le système de la planche de cuivre ou de bois par celui de cylindre gravé. Au faîte de sa gloire sous l’Empire, la manufacture s’écroula avec lui.

Le rayonnement de la mode française – C’est à sa prédominance politique et surtout à sa prospérité économique que la France doit son rayonnement mondial dans le domaine de la mode. Au XVIIème siècle, le français était devenu la langue internationale et diplomatique ; l’architecture et la peinture de ce pays constituaient de véritables modèles de référence, tandis que l’Europe se couvrait de petits « Versailles » où les courtisans s’habillaient à la française. Sous l’impulsion de Louis XIV et de Colbert, les grandes manufactures permirent l’élargissement de la production. Par ailleurs, le rassemblement de la noblesse à la cour de Versailles favorisa l’accélération du rythme de renouvellement des modes. Courtisans oisifs et gentilshommes se passionnaient pour les dernières frivolités lancées, à défaut de pouvoir s’intéresser à de plus grands desseins. La cour devint le lieu du plus vertigineux ballet des modes, et la vision de ce luxe effréné fascine les cours européennes qui tentèrent en vain de les imiter. La mode française, avec le décolleté féminin comme principal trait distinctif, s’imposa en Angleterre de 1625 à 1650, puis, à partir de 1666, se répandit partout.

A la fin du siècle suivant, en revanche, la France dut compter avec l’influence venue d’outre-Manche qui occupa alors le devant de la scène, particulièrement dans l’habillement masculin. A l’étranger, deux conceptions de l’élégance rivalisaient, le raffinement de la « robe à la française » s’opposant à la simplicité de la « robe à l’anglaise » et de la redingote. La gravure de mode contribuait à véhiculer l’image des styles nouveaux et les marchandes de mode comme Rose Bertin expédiaient régulièrement dans les cours étrangères des poupées parées des dernières créations.

Au cours du XIXème siècle, l’Angleterre confirma sa suprématie en matière de mode masculine, tandis que la France affirma de son côté sa prédominance dans l’art vestimentaire féminin. En marge de l’habillement, enfin, la France a de tout temps manifesté une immense créativité dans la production des accessoires les plus variés, du chapeau aux gants et aux bijoux.

Le phénomène de la haute couture – Si la mode vestimentaire ne relève pas d’un monopole national, c’est bien à Paris qu’est née la notion de haute couture (ou couture création) : on peut situer son apparition en 1858, avec l’arrivée à la cour impériale du couturier anglais Frédéric Worth. Jusque-là, il existait dans les capitales européennes des couturières réputées qui habillaient les élégantes de la bonne société ; mais elles s’efforçaient avant tout de traduire les goûts de leurs riches clientes. Avec Worth, c’est le créateur qui s’affirma, en proposant un choix de modèles adaptables ensuite aux mesures des intéressées.

L’état de prospérité économique et les progrès techniques aidant, Européennes et Nord-Américaines remplaçaient de plus en plus souvent leurs garde-robes. La couture prit donc une place plus importante et Worth fit des émules, si bien qu’au tournant du siècle Paris s’était imposé comme capitale de la création vestimentaire. Attentifs aux cultures étrangères et à l’évolution des arts décoratifs, des couturiers tels que Poiret, Doucet, Vionnet et Schiaparelli investirent l’Occident de leurs créations raffinées. Pendant un demi-siècle, l’élégance française continua de s’imposer à travers les modèles de Chanel, Dior ou Fath, puis, plus tard, avec ceux de Balmain, Cardin et Courrèges.

Depuis toujours, les grands couturiers travaillaient pour une clientèle particulière et fortunée. En 1962, Cardin lança – en plus de ses collections traditionnelles – le prêt-à-porter sous griffe couture ; désormais, les couturiers allaient concéder les droits de reproduction de certains modèles à des spécialistes de la confection en vue d’une plus large distribution. Traditionnellement, la haute couture parisienne donnait le ton dans le domaine de la mode vestimentaire lors de la présentation des deux collections annuelles du printemps et de l’automne ; mais depuis 1960 environ, créateurs et stylistes se sont montrés de plus en plus imaginatifs et leurs modèles ont souvent une forte influence sur les tendances de la saison suivante : choix des matières, des lignes, des coloris et des thèmes.

Aujourd’hui, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et, surtout, l’Italie et le Japon sont de plus en plus présents sur ce marché. A Paris ou ailleurs, c’est bien souvent dans les ateliers des créateurs que se fait la mode, mais le prestige de la France reste tel que la présentation des défilés dans la capitale et la reconnaissance de la critique parisienne sont nécessaires à tout créateur étranger désirant atteindre une renommée mondiale.

Sources : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 10.