Broderie à fils tirés

Catégorie de broderies blanches ajourées caractérisée par le retrait préalable d’un certain nombre de fils du tissu, dans le sens de la trame, de la chaîne ou dans les deux sens. Les jours peuvent former un fond léger autour d’un motif en broderie pleine, occuper tout le champ d’un ouvrage ou encore souligner géométriquement un motif aux lignes souples. Les procédés utilisés sont fort nombreux, allant des barrettes aux points de reprise ou de surjet formant réseau jusqu’au retissage au point de toile, en passant par la mise en réserve de surfaces de tissu au milieu d’ajourages savants ou le travail des fils restants aux points de surjet, de reprise, d’esprit, de feston ou de boutonnière.

Cette broderie ajourée est pratiquée un peu partout dans le monde et depuis des siècles : on la trouve déjà sur les textiles coptes. La technique des fils tirés dans un seul sens est la plus ancienne ; c’est l’antique punto tirato italien, nommé aussi point à jours. Souvent travaillée en rivière – pour broder un ourlet, par exemple -, elle fait appel à des points très variés. On l’utilise souvent dans le corps d’un ouvrage pour délimiter des surfaces brodées ou ajourées. Le prutik ukrainien fait partie de ces ouvrages à fils tirés dans un seul sens ; en Suède, dans la région de la Scanie principalement, on peut trouver sur un ouvrage un même motif géométrique traité tantôt en broderie ajourée, tantôt sous forme de dentelle à l’aiguille.

Plus tard sont apparus les ouvrages aux fils tirés dans les deux sens qui relèvent du punto tagliato. Au cours de la Renaissance italienne, le linge de corps, la chemise en particulier, est devenu de plus en plus visible ; c’est vers cette époque que la reticella a fait son apparition sur les cols et les manchettes blanches. On a aéré progressivement cette broderie en retirant de plus en plus de fils ; à partir du réseau (rete en italien) ainsi obtenu, on a tendu de nouveaux fils, puis on les a recouverts de points de boutonnière et de surjet.

La broderie blanche reticella – qui donnera ensuite naissance à la dentelle à l’aiguille – s’est répandue dans toute l’Europe sous des formes très variées, influençant la broderie domestique comme les ouvrages religieux.

Les pays nordiques ont largement contribué à l’enrichissement du patrimoine européen des broderies à fils tirés grâce aux travaux danois d’Amager et de Hedebo, aux réalisations norvégiennes de Hardanger et de More, aux coiffes hollandaises et aux dentelles brodées de Dresde. La France s’est distinguée en ce domaine avec les jours d’Angles. Plus au sud, l’Espagne et le Portugal ont exporté leur savoir-faire en matière de broderie ajourée dans leurs colonies d’Amérique (au Mexique, notamment) et de l’Inde ainsi qu’aux Philippines. Les régions arménienne, caucasienne et grecque, enfin, ont produit d’exquises nappes à fils tirés ; l’Iran n’est pas demeuré en reste avec ses napperons finement décorés, tandis que les Afghanes continuent aujourd’hui encore à observer le monde à travers les grilles brodées de leurs voiles.

Vers le début du XXème siècle, les jours deviennent fort appréciés dans l’ornementation des corsages et des sous-vêtements fins, le plus couramment sous la forme de jours échelles doubles. Dans les années trente, le style linéaire très prisé en décoration, tant pour les tapis et les papiers muraux imprimés que pour les meubles, renforce la popularité des jours qui s’affirmera jusque vers 1950. On les retrouve ainsi sur des nappes d’étamine, encadrant d’autres broderies moins linéaires, ou sur les délicats mouchoirs de poche en lin confectionnés en Suisse et en Europe de l’Est. La lingerie fine ajourée à la machine apparaît sur le marché dans les années vingt et connaîtra dès lors un succès croissant.

La technique – L’étoffe à ajourer doit tout d’abord être tendue sur un métier. On procède ensuite au tirage des fils par petites surfaces, en utilisant une paire de ciseaux pointus et une aiguille à bout rond. On brodera de préférence sur une toile plus ou moins fine de lin – ou de coton -, de façon à pouvoir compter les fils aisément. Le fil doit être assorti à la qualité de l’étoffe.

L’aspect des jours à fils tirés dépend du nombre de fils ôtés, de la façon de les enlever et des types de broderie adoptés. Les motifs peuvent être reportés sur le tissu ou bien travaillés à fils comptés – du fait de la nature géométrique de cette broderie.

Sur certains ouvrages à fils tirés dans un sens, on enlève un ou quelques fils de trame pour broder une fine rivière, le long d’un ourlet notamment ; on brodera ainsi jours simples, doubles ou en échelle, par exemple. Sur d’autres, on retire plusieurs centimètres de fils pour former de larges bordures superposées qui composent un véritable fond. Dans ce second groupe, on distingue généralement quatre types de jours, en fonction du point de broderie utilisé : le point de surjet, le point de reprise, des points composés (croisé ou d’esprit, par exemple) ou des combinaisons des trois types précédents. Quel que soit le point employé, les fils rassemblés dessinent des motifs géométriques qui peuvent être très variés : lignes brisées, triangles ou losanges, par exemple. Les jours au point de surjet figurent parmi les plus anciens ; les points peuvent être brodés serré de manière à recouvrir entièrement le réseau de fils. Un groupe de fils peut aussi être simplement rassemblé au centre par un unique point de surjet et prendre ainsi une forme de faisceau. On peut en outre surjeter les fils un à un pour imprimer un mouvement de vague ; dans une variante que l’on retrouve sur les broderies de Ténérife et les jours d’Espagne, le point de surjet est remplacé par un nœud de type palestrina.

Dans les ouvrages au point de reprise, très fréquents en Scandinavie, les motifs sont composés de pavés plus ou moins aérés. Le point croisé – utilisé surtout en Suède – donne un résultat plus ferme que le point de surjet, mais moins dense que le point de reprise.

Les fils tirés dans les deux sens sont souvent rebrodés en barrettes au point de reprise ou de surjet. On commence par souligner sur l’étoffe les parties à éclaircir à l’aide de faufils ; ceux-ci doivent en principe passer au-dessus des fils à retirer et au-dessous des fils à conserver. On peut également broder les barrettes avant d’enlever les fils.

Pour le remplissage, on fait aussi appel à des points très variés : reprise, toile, esprit, boutonnière, fils lancés et rebrodés. Le point d’esprit est particulièrement employé dans les broderies scandinaves, soit pour former un décor, soit pour rebroder le réseau ajouré. Le point de boutonnière servait jadis à garnir le réseau de motifs de dentelle à l’aiguille – comme pour la reticella ; plus récemment, on s’en est servi pour recouvrir délicatement les fils lancés en diagonale à travers les mailles larges du réseau et former ainsi arceaux et roues.

Sources : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 10.