Bonnet de Fair Isle, en fil de soie, avec des dessins caractéristiques - Châle de Paisley datant de 1825 environ

L'art textile en Ecosse

Un tour d’horizon de l’histoire textile écossaise doit naturellement commencer par les célèbres tartans, ces tissus de laine à carreaux dont les Ecossais ont fait leurs vêtements depuis des siècles. Les tartans étaient déjà fabriqués par les membres des tribus gaéliques qui avaient émigré d’Irlande vers le Vème siècle de notre ère. Il s’appelaient les Scots, et après avoir refoulé vers les montagnes les premiers habitants du pays, les Pictes, ils s’installèrent dans le comté d’Argyll, en Ecosse occidentale, y fondant le royaume de Dalriada.

Ces premiers « Ecossais » étaient revêtus du « leine craich », une chemise teinte d’une couleur claire, souvent safranée, et d’une sorte de cape drapée autour des épaules appelée « brat » ; ce costume, qui différait notablement de ceux du reste de l’Europe, rappelle le peplos et le chiton grecs. Ils mettaient également un genre de braies serrées, les « trews », qui couvraient séparément les deux jambes et dont l’origine est sans doute gauloise. Au Moyen Age, on portait le « plaid » (terme gaélique signifiant tapis ou couverture) drapé autour de la taille en une jupe qui descendait jusqu’aux mollets, l’autre extrémité étant rejetée sur les épaules à travers le buste. Cette tenue aboutira au costume national écossais tel que nous le connaissons aujourd’hui, composé d’un « kilt » - ce dernier n’étant apparu que vers 1730 – et d’un plaid jeté sur les épaules.

Bien que, de nos jours, les différents motifs des tartans soient attribués aux divers clans, il semble qu’à l’origine ils aient été plutôt rattachés à des régions, la diversité des décors étant liée aux plantes tinctoriales qui s’y trouvaient. Une tradition légendaire voulait que lors de mariages entre clans on mêle les couleurs, créant ainsi un nouveau dessin. Après la défaire écossaise à la bataille de Culloden en 1746 et la signature de la paix qui marqua l’abolition du système des clans dans les Highlands et scella l’intégration définitive de l’Ecosse au royaume de la Grande-Bretagne, un édit interdit le port du tartan aussi bien aux propriétaires terriens, femmes et hommes, qu’aux soldats des régiments écossais. Cette interdiction, dont la transgression était punie de la peine de mort, renforça l’attachement des Ecossais à ce costume, devenu, pour cette raison même, un symbole national. Dès le début du XIXème siècle, la vogue du tartan dépassa les frontières de l’Ecosse. La demande ne fit que s’accroître sous l’impulsion de la reine Victoria, qui s’en servit pour décorer sa résidence de Balmoral et le fit connaître dans toute l’Europe.

Les tartans ne sont cependant pas les seuls à représenter aux yeux du monde les traditions textiles écossaises. On tisse depuis plus de trois cents ans dans les Hébrides, sur l’île de Lewis-with-Harris, le lainage robuste appelé « Harris tweed » ; Il s’agit d’une étoffe en armure toile ou sergé tissée en demi-largeur, c’est-à-dire 29 pouces anglais (73 cm). La plupart des laines sont aujourd’hui filées mécaniquement dans des usines, puis tissées à la main chez les tisserands ; après quoi les étoffes sont renvoyées à l’usine de Lewis pour le finissage. Les Harris tweeds sont protégés par brevets et droits réservés.

L’Ecosse s’illustra également, au début du XIXème siècle, par la production des célèbres châles de Paisley. Ceux du Cachemire, ornés de motifs rouge et bruns inspirées do « boteh » indien, étaient très appréciés en Grande-Bretagne durant le XVIIIème siècle pour leur douceur et leur chaleur. Leur prix élevé – près de 200 livres – incita des producteurs anglais de Norwich à en fabriquer sur place. Les manufactures écossaises d’Edimbourg furent cependant les premières à recréer la douceur des vrais châles du cachemire. Plus tard, les productions de Paisley, à l’est de Glasgow, commencèrent à s’imposer sur le marché. La concurrence se fit âpre entre Norwich, Edimbourg et Paisley, cette dernière ville finissant par l’emporter grâce à une fabrication rapide, des prix bas et surtout, vers 1833-1834, l’introduction du métier jacquard. Entre 1840 et 1870, les manufactures de Paisley imitèrent surtout les créations des Français qui contrôlaient à l’époque le commerce international des châles. Après la guerre franco-allemande de 1870, le châle passa de mode en dépit de son prix devenu très modique : un Paisley fabriqué sur métier jacquard ne coûtait plus d’une livre !

Si, à cette époque, l’industrie du coton était solidement implantée en Ecosse, particulièrement à Rothesay, dans l’île de Bute, et à New Lanark, le travail de la laine restait prédominant, fournissant non seulement les tartans, toujours très populaires, mais aussi du tricot. La production de vêtements tricotés en chambre était une activité très importante depuis le XVIème siècle ; on réalisait principalement des bas, des bonnets de nuit, des chandails et des gants. Les ravissants motifs multicolores des tricots de Fair Isle, l’une des îles Shetland, démontrent le soin apporté à l’esthétique de ces pièces. Le plus beau produit de Fair Isle est le traditionnel chandail « Robe of Flory », tricoté par les grands-mères pour leurs petits-fils quand ceux-ci atteignent l’âge de la puberté. Ces tricots, aujourd’hui pièces de musée, s’ornent entre autres d’une couronne, symbole d’une vie riche et épanouie, et d’une étoile de Bethléem. Plus répandus, les chandails de Fair Isle à rayures diagonales sont toujours tricotés dans l’île.

Parmi les productions traditionnelles des Shetland, on trouve les célèbres châles de dentelle tricotée, dont les origines sont incertaines. La légende veut que les motifs aient été copiés sur des dentelles espagnoles portées par des marins naufragés le long des côtes du nord de l’Ecosse, après la défaire de l’Invincible Armada en 1588. D’autres sources prétendent que le motif est vieux de quelque 3 500 ans.

Les châles de Shetland les plus anciens qui nous soient parvenus datent du début du XIXème siècle, lorsque la population de l’île commença à écouler sa production à Londres. A cette époque, le fil de laine utilisé était aussi fin qu’un cheveu humain, et les aiguilles constituées de brindilles arrondies et souples : ces matériaux donnaient aux châles une douceur et une finesse extrêmes. Il était possible de faire passer les plus grands châles à travers une alliance ! De nos jours, la laine est filée à la machine et les châles Shetland très fins ont disparu.

Alors que certains artisanats anciens dépérissaient, d’autres apparurent : ainsi la tapisserie écossaise. L’atelier « The Dovecot », à Edimbourg, doit le jour à une rencontre entre le marquis de Bute et William Morris, célèbre artiste londonien responsable entre autres de l’épanouissement de la tapisserie anglaise. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’atelier ne travaillait que pour la famille Bute ; la tapisserie intitulée « The Lord of the Hunt » date de cette période. Après 1945, il s’ouvrit à l’extérieur et travailla sur des cartons d’artistes tels que Stanley Spencer, John Piper et Frank Stella. Le succès sans faille de l’atelier Dovecot est dû principalement au tisserand Archie Brennan, directeur de l’atelier entre 1961 et 1976, qui se refusait à copier les modèles avec exactitude mais tenait à les interpréter, à les traduire dans la matière textile. Ce groupe d’artistes tisserands est réputé également pour ses innovations matérielles et techniques : fils d’apparence métallique, doubles-étoffes et jours dans le tissage, etc.

L’art de la broderie en Ecosse a surtout été représenté par les productions du Ayrshire, célèbres dans toute l’Europe et en Amérique de la fin du XVIIIème siècle au milieu du XIXème siècle. Cette broderie ajourée blanche, exécutée sur de la mousseline de coton de fabrication écossaise, fut l’un des ornements de prédilection des robes blanches de l’époque Empire. La guerre de Sécession américaine, qui coupa les liens avec les producteurs de coton des Etats du Sud, signa l’arrêt de mort de cette activité. La broderie connaît un renouveau en Ecosse depuis le début du XXème siècle, au sein de la Glasgow School of Art ; avec son style inspiré de l’Art Nouveau, elle est surtout utilisée sur des étoffes d’ameublement.

Source : « Autour du fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogdtal, Paris, 1990, volume 9.


Retour à l'accueil